Entremelant recit personnel, analyses sociologiques et article d’investigation de longue haleine, la journaliste Judith Duportail signe une enquete remarquable au c?ur de l’application de rencontres la plus populaire – et la plus rentable – au monde.

Entremelant recit personnel, analyses sociologiques et article d’investigation de longue haleine, la journaliste Judith Duportail signe une enquete remarquable au c?ur de l’application de rencontres la plus populaire – et la plus rentable – au monde.

Sa reperee des 27 pages du brevet depose par l’entreprise reste edifiante. 2 milliards de matchs par jour, 1 million de dates par semaine a travers 190 pays. Les chiffres revendiques avec Tinder donnent le tournis. Depuis sa creation en 2012, l’application de rencontres Notre plus populaire au monde a profondement bouleverse nos relations amoureuses. Souvent accuse de marchandiser l’intime, Tinder n’en reste pas moins tres populaire – en France notamment, 4e pays ou l’application reste ma plus telechargee ! – et rentable. Avec 800 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2018, l’appli du groupe Match (qui detient aussi Meetic) est la plus lucrative de l’Apple Store.

„Note de desirabilite“

Comme nombre d’utilisateurs, Judith Duportail [collaboratrice des Inrocks, ndlr] s’y est inscrite dans une phase post-rupture, le meme jour ou elle te prend un abonnement pour une salle de sport. Rapidement devenue accro, la quasi-trentenaire se connecte quotidiennement a l’appli, discute et rencontre Quelques matchs. Mais elle tique lorsqu’elle apprend au detour d’un article de presse que l’algorithme de Tinder attribue a chaque usager une „note de desirabilite“. Ce score influence la selection des profils proposes sur le smartphone. Tout n’est donc gui?re question de geolocalisation et de hasard, tel le laisse croire la start-up. Des au cours, la journaliste se lance au sein d‘ une quete effrenee pour connaitre le Elo Score, sa note de desirabilite. L’Amour sous algorithme, paru le 21 mars aux editions Goutte d’or, est l’aboutissement de votre enquete sur la face cachee du dating moderne. Elle montre a quel point la technologie influence, voire predetermine les existences en exploitant des precisions personnelles.

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Premiere etape pour la journaliste : saisir votre qu’implique le classement interne de Tinder. L’Elo Score reste un terme issu une theorie des jeux, en mathematiques. L’appli use de ce systeme de notation Afin de assigner chaque individu a une categorie, via un ensemble de facteurs gardes secrets destines a determiner sa „place“ au marche des relations intimes. „Chaque fois que la profil est presente a une personne se joue votre mini-tournoi, tel un match de foot ou une partie d’echecs“, explique Judith Duportail. Pour ce faire, l’algorithme utilise toutes les donnees personnelles partagees – consciemment ou non – i  l’instant de l’inscription. Il semble souvent difficile de se representer la masse d’informations que nous partageons quotidiennement i  propos des reseaux sociaux, les applis. L’auteure a pu eprouver un materialite. En 2017, elle parvient a obtenir l’ensemble de le historique Tinder. Mes 802 pages d’informations personnelles stockees sur leurs serveurs, recues en PDF, lui font l’effet d’une bombe. „Rien qu’en ayant acces a faire mes likes Facebook et a ma correspondance, Tinder en sait plus sur moi que les meilleurs amis, faire mes parents, mon psy si j’en avais un et moi-meme“, ecrit-elle dans un article publie dans le Guardian.

Exploitation des precisions personnelles et capitalisme de surveillance

C’est une realite bien connue des chercheurs : l’intelligence artificielle est capable d’operer votre ciblage psychologique bien plus fin que n’importe quel humain. En temoigne le – terrifiant mais indispensable – outil Apply Magic Sauce developpe avec l’universite de Cambridge. Cette IA deduit Notre personnalite d’un individu a partir de ses traces numeriques, sur Twitter ou Facebook. Ces memes techniques ont inspire des equipes de Cambridge Analytica, au c?ur du scandale du micro-ciblage des electeurs de Trump lors de la derniere presidentielle americaine. Au fil en lecture de L’Amour sous algorithme, on prend conscience (probablement de la meme maniere que l’auteure i  l’occasion de le enquete) des enjeux ethiques et democratiques immenses que souleve l’exploitation des precisions gens. Certes, le probleme reste loin d’etre nouveau. Mais a travers Tinder, Judith Duportail nous expose avec force des derives du capitalisme de surveillance dont l’appli est l’exemple le plus traitant. Vraisemblablement parce que celui-ci pointe a l’intime.

Grace a quelques annees d’embauche d’investigation, l’auteure penetre plus loin que n’importe qui en entrailles de Tinder. A la maniere d’une exploratrice acharnee qui, a force de coups de pioche, de patience ainsi que perseverance, parvient a deterrer votre tresor, elle met la main sur la cle de lecture la plus application de rencontre mst gratuite complete de l’algorithme : des 27 pages du brevet depose avec l’entreprise. Ce qu’on y decouvre reste edifiant : „Tinder se reserve la possibilite d’etudier des caracteristiques physiques, intellectuelles, psychologiques, en permanence, comme concernant des astronautes en mission. Difference de taille : les astronautes, eux, en paraissent conscients“, grince la journaliste. Le fameux Elo Score s’appuie non seulement sur la „desirabilite“ physique, mais classe aussi les utilisateurs en fonction de un intelligence et leurs centres d’interets.

Tinder reproduit „le modele patriarcal des relations heterosexuelles“

Ce faisant, Tinder fait non juste le jeu du capitalisme de surveillance, mais contribue de surcroit a reproduire une vision conservatrice de l’univers et des schemas traditionalistes de repartition des roles selon le genre. La chercheuse Jessica Pidoux, citee dans l’ouvrage, affirme que le brevet releve „du modele patriarcal des relations heterosexuelles“. Par exemple, il peut favoriser les matchs entre hommes plus ages et jeunes femmes plus jeunes. Toutes ces decouvertes ont ete dementies par l’entreprise. Mais la force du livre de Duportail est de croiser l’etude approfondie de l’algorithme de Tinder avec son experience personnelle et les savoirs en sciences sociales sur l’intime et des rapports amoureux, dans une perspective feministe. Invoquant des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, les troubles de l’affection, le male gaze, la self-objectification ou bien des travaux d’une sociologue Eva Illouz, la journaliste decrit avec acuite la realite des relations amoureuses d’aujourd’hui, le lot d’attentes, de deceptions et de nevroses creees ou amplifiees par outils numeriques. „En exploitant les precisions personnelles Afin de determiner qui je vais voir sur l’application, Tinder decide i  mon sens qui je peux rencontrer, toucher, aimer. [C’est] un pouvoir immense sur moi, sur mes ri?ves, via mon corps.“

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